(Article publié initialement en 2014)
Spécial investigation - Rats : la poule aux œufs d'or, de
MM. Tresanini et Vescovacci
Emission de Canal + diffusée en octobre 2014 et visible
ici : https://www.youtube.com/watch?v=3-RH8V7cDps
L’introduction cadre le sujet :
« Les rats :
on en compte 2 par habitants à Paris et 10 à Marseille. En France, on en trouve
dans les jardins publics, les restaurants, les supermarchés, mais aussi dans le
métro à New-York et dans les hôpitaux en Chine. L’invasion est mondiale.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette prolifération ? Eh bien il y a
plusieurs causes, et l’une d’elles est étonnante : au fil du temps les
rats sont devenus résistants aux produits chimiques qui sont censés les
éradiquer. Les multinationales qui fabriquent ces raticides pourraient en
lancer d’autres plus puissants, mais elles ne le font pas. Pourquoi ? Nous
allons vous le révéler. »
Avec de tels propos, « l’émission qui contre-enquête le monde » annonce que ce qui va
suivre est un réquisitoire basé sur un procès d’intention, et certainement pas
une enquête d’investigation neutre et approfondie.
D’ailleurs cela commence très mal : « L’idée de ce film je l’ai eu un soir alors
que je me baladais dans Paris (…) mais ici, à deux pas des Champs Elysées, la
balade peut réserver des surprises. A la nuit tombée, des dizaines de
rats quittent les égouts et envahissent les pelouses (…). Paris envahit par les
rats, c’est en tout cas le sentiment des touristes asiatiques ou américains qui
postent leurs vidéos sur Internet ». Suivent les images, tournées en
journée, des pelouses du jardin du Musée du Louvre parcourues par des rats
au milieu des touristes qui pique-niquent. Images qui ont fait le tour du monde
cet été.
L’idée de « l’enquête » est donc venue de ce buzz
estival et certainement pas d’une balade parisienne. Pourquoi s’en cacher et se
faire passer pour le candide de service qui découvre quelque chose de
nouveau ?
« Les rats c’est
sale mais ça peut aussi être dangereux », et de passer des rats
pique-niqueurs à ceux qui ont rongé les câbles d’une armoire électrique de la
SNCF, ce qui a provoqué un accident mortel l’été dernier (collision TER/TGV). A
part que les photos de la SNCF sont explicites : il s’agissait de souris,
qui ne vivent pas dans les égouts et n’envahissent pas les pelouses fréquentées
par les touristes… Leur mode de vie est bien différent de celui des rats
d’égout et l’amalgame rat/souris n’a pas lieu d’être dans ces deux cas ; votre
propos, MM. Tresanini et Vescovacci, relève ici de la manipulation. D’ailleurs
cela continue avec les voyageurs terrorisés par un rat dans métro de New-York
(panique totalement irrationnelle…), un quarteron de rats qui « envahit un fast-food » de Chicago
(en restant sur la terrasse…), une poigné de rats qui « prennent d’assaut » un hôpital
chinois, et les bobbies anglais et leur chiens qui tentent de stopper une
« invasion » diurne de
quelques dizaines de rats affamés et apeurés, à coups de crocs et de pelles…
Voilà, le décor est posé pour balancer une première
énormité : « Toujours plus de
rongeurs. A qui la faute ? Aux rats eux-mêmes d’abord, car l’espèce se
reproduit plus vite que son ombre ». Suit un bout d’interview
d’Etienne Benoit, qui dit que « qu’un
couple de rats peut avoir entre 2.000 et 5.000 descendants en un an »,
en zappant ce qu’il dit juste avant « dans
une zone extrêmement vaste avec autant à manger que l’on veut »,
autrement dit certainement pas les jardins du Louvre !
Même si plus loin dans le reportage, l’interview du Pr
benoit est passée en entier, le « mal » est fait dés le début du
sujet. Manipulation oui, investigation, non !
MM. Tresanini et Vescovacci, cela fait des millénaires que
les rats se reproduisent à ce rythme, pourquoi affoler inutilement vos
téléspectateurs en affirmant qu’ils sont de plus en plus nombreux ?
Si vous vous étiez penché un peu le
« pourquoi ? » du buzz des jardins du Louvre, vous auriez relevé :
1/ Que ce sont d’importants travaux qui ont délogé et déplacé des rats qui n’étaient
pas très embêtants jusque-là ;
2/ Que c’est la faim qui les a fait sortir en plein jour, alors
qu’ils sont biologiquement de mœurs nocturnes.
Il ne pouvait donc pas s’agir d’un envahissement mais plutôt
d’un comportement opportuniste lié à l’augmentation des ressources trophiques
que représentent les jardins (pour y creuser des terriers) et l’afflux de
touristes (avec leurs reliefs de repas). Donc un épisode strictement
estival ; d’ailleurs le buzz s’est éteint en même temps que
« l’invasion »…
Quant aux souris de l’armoire électrique de la SNCF, il
s’agissait de l’incompétence de l’entreprise de dératisation, et certainement
pas d’une autre « invasion » !
La deuxième énormité est sidérante : « si les rats prolifèrent autant aujourd’hui,
c’est peut-être aussi parce que l’industrie du rat gagne beaucoup d’argent ».
Suivent des extraits d’interviewes d’un commercial qui déclare que « c’est colossal. Il n’y a pas un seul pays au
monde épargné par les rongeurs » et d’une chef d’entreprise qui évoque
« une progression annuelle de5% ».
MM. Tresanini et Vescovacci, expliquez-nous comment les rats
peuvent proliférer alors que :
1/Ils se reproduisent de la même manière depuis la nuit des
temps ;
2/ L’industrie de rat est prospère et très riche ?
Qu’est-ce que ces choses ont à voir ? Vous vous
réécoutez quand vous avez bu ? Le témoignage d’une poignée de
professionnels satisfaits suffit-il à établir une vérité ? Avez-vous pris
le temps d’observer comment est structurée « l’industrie du rat » ? Vous n’en parlez pas dans votre
reportage, alors qu’il y aurait matière à débat : un syndicat
représentatif (la CS3D) qui réunit fabricants et prestataires, qui fédère 1%
d’entreprises qui réalisent 50% du chiffre d’affaire du secteur professionnel,
et un tiers qui n’en réalisent que 1%... L’ensemble représentant 7.500 salariés
ou artisans, qui n’ont jamais suivi de formations qualifiantes, puisqu’il n’en
existe pas !
L’enquête qui se poursuit en Auvergne où pullule le
campagnol des champs, abouti à un amalgame inapproprié entre rats des villes et
rats des champs. Vous n’avez pas appris une certaine fable de La Fontaine, à
l’école primaire, qui montre que les mondes des rats des champs et des rats de
villes n’ont rien à voir ? La question à se poser devant la prolifération
des campagnols des champs, MM. Tresanini et Vescovacci, est celle de la
non-prolifération de leurs prédateurs (serpents, mustélidés et rapaces),
puisque dans les milieux équilibrés les populations rongeurs/prédateurs sont
interdépendantes. C’est donc un problème de modèle agricole que posent les
campagnols, ce qui n’a rien à voir, mais rien du tout, avec les rats d’égouts
délogés de leurs terriers et les souris qui s’abritent dans une armoire
électrique.
Lors de votre visite à l’école vétérinaire de Lyon, n’avez-vous
pas été frappé par la petite taille des rats résistants aux anticoagulants,
dont le Pr Benoit dit « qu’ils ne
sont pas en grande grande forme », alors qu’au début du reportage et
vers 28’03 vous évoquez des rats énormes ? Je vous invite à lire sur ce
sujet un autre article de mon blog (http://hyform.blogspace.fr/6044179/Retour-sur-les-phenomenes-de-resistance-des-rats-aux-anticoagulants/),
car effectivement les rats résistants aux anticoagulants sont loin d’être des
super-rats…
Et vous n’avez certainement pas bien écouté ce que vous
disait Etienne Benoit à propos du rat noir, car il n’est pas arrivé en Europe « au 18ème siècle, par bateaux, en
provenance l’Asie », mais bien avant ; encore une énormité, qui
trahit que vous n’avez pas bien préparé/finalisé votre reportage. De même, ce
n’est pas « en quelques années que les rats d’égout ont
remplacé les rats noirs dans les villes » ; le phénomène s’est
étalé sur plus d’un siècle et est expliqué dans mon livre « Des rats et des hommes »
(disponible ici).
Le petit couplet positif sur l’utilité des rats dans les
égouts est vite étouffé par un sinistre « cercle vicieux, car à force d’abandonner nos déchets alimentaires sur
la voie publique les rats prolifèrent dans les grandes villes », cette
répétition révélant le parti-pris erroné et inutilement dramatique de votre
reportage.
Le passage sur les estimations de l’OMS quant aux coûts des
dégâts causés par les rongeurs se conclut par de bonnes paroles, car en effet
« nous sommes tous responsables »,
mais la suite sur les agents anti-rats de la préfecture de police de Paris est
à la limite du pitoyable. Ces agents n’ont manifestement jamais suivi de
formation sur le sujet qui les occupe et ils ne se sont pas beaucoup renseignés
sur la biologie du rat d’égout ! Affirmer que « les rats circulent en plein jour parce que les gens jettent des déchets
par les fenêtres » trahit une connaissance très superficielle de la
situation. Voir des rats en plein jour signifie qu’il y en a 10 fois plus qui
ne sortent que la nuit, car ceux qui sortent en journée sont des rats dominés
affamés. Il y a bien plus que les personnes verbalisées pour avoir jeté de la
nourriture par les fenêtres qui sont à mettre en cause, à commencer par le
bailleur social, qui pourrait assurer un entretien plus rigoureux des espaces
de la cité.
La visite des caves d’une cité HLM est à l’avenant :
les caves sont un capharnaüm insalubre et une seule cave est
fautive ! Si les agents les avaient toutes visitées, ils en auraient
trouvé bien d’autres tout aussi « coupables ».
Mais coupables de quoi ? D’offrir un abri aux rats, et seulement un
abri, car il est évident qu’ils s’alimentent ailleurs… Or, c’est au niveau des
sources d’alimentation qu’il faut rechercher des « coupables » !
Quant au pauvre représentant de la société HLM « dépassé » par la situation et « qui ne sait pas trop comment éradiquer le problème », je lui
conseille de suivre une formation, car il est gestionnaire d’une problématique
qu’il ne maîtrise pas. Au fait, pourquoi a-t-il été nommé à cette fonction,
s’il « ne sait pas comment
faire ? »
Le passage sur le restaurant de Belleville est à se tordre
de rire. Les habitants de l’immeuble et le syndic le soupçonnent d’attirer les
rats. Or, les policiers concluent que c’est un défaut d’étanchéité d’une
conduite d’eau usée qui offre un passage aux rats en provenance des égouts vers
les caves délabrées, sales et encombrées de l’immeuble; c’est donc le syndic
qui est mis en cause… Un minimum de connaissance sur la biologie du surmulot
aurait permis de conclure différemment : son gros appétit le trahit (il
consomme 10% de son poids/ jour), c’est donc la source de nourriture qu’il faut
considérer, en l’occurrence les poubelles de l’immeuble et du restaurant...
Ensuite il faut obliger les occupants à débarrasser leurs caves pour ne plus
offrir de refuges aux rats, et en dernier lieu boucher le passage depuis les
égouts ; car il est évident, pour qui connaît les rats, que ce ne sont pas
ceux qui nichent dans les égouts qui traversent les caves pour aller manger
dans les poubelles de l’immeuble…
Souligner la « légèreté
des syndics » en matière de lutte contre les rongeurs est justifié, de
même que le « laxisme de certains
services municipaux de ramassage des ordures ». Mais le long
développement sur Marseille ressemble à un règlement de compte d’un supporter
du PSG contre l’OM… Ce n’est plus du journalisme d’investigation mais du
reportage polémiste ! L’utilisation que vous faites des estimations de la
proportion de rats par habitant est grotesque (« 10 rats/habitants à Marseille, 2 à Paris »), car vous
reproduisez sans les avoir vérifié des chiffres non documentés et très sujets à
caution. Figurez-vous, MM. Tresanini et Vescovacci, que l’expérience de
dénombrement de rats d’égout qui figure dans mon livre « Des rats et des hommes » a été
conduite à Marseille, où il y a moins de 2 rats par habitant. Sur ce sujet je
vous invite à assister à ma conférence au prochain salon Parasitec, le 21
novembre prochain.
Votre conclusion « 50.000
€ de budget raticides, c’est insuffisant pour dératiser Marseille »
est incongrue, surtout après avoir filmé les dératiseurs de la ville qui font
n’importe quoi (jeter à l’aveugle des raticides dans les tampons d’égout). A
aucun moment cette manière de faire ne vous interpelle. Pourquoi ? Parce
vous vous n’êtes pas souciés de savoir comment vivent les rats et comment il
faut, idéalement, lutter contre eux. Jamais, dans votre reportage vous ne posez
des questions en rapport avec les stratégies de lutte, histoire de vérifier si
elles sont pertinentes ou inadaptées.
Quand donc vous filmez les deux dératiseurs « qui ont longtemps hésité (à se faire filmer
par vous) », vous ne vous demandez pas s’ils représentent l’ensemble
de leurs collègues où seulement une partie ? Oui, il y a des margoulins
dans tous les secteurs de métier (y compris les journalistes TV), mais comment
vous assurez-vous que ceux que vous filmez sont représentatifs de
l’ensemble d’une profession ? En l’espèce, vous auriez pu suivre aussi des
professionnels compétents et honnêtes, car il y en a. Par contre, ceux de votre
reportage sont vraiment mauvais : leur technique de lutte dans la
supérette ne vous a pas interpellé ? Les souris consomment des denrées
alimentaires sur les étagères des rayons, or, ils placent leurs plaques
de glu au sol, c'est-à-dire que quantités de souris peuvent les éviter
sur leur chemin vers les étagères, ce qui est le cas puisqu’ils déplorent
« de la casse »…
Passons sur votre commentaire (30’38) « les bons mois, ils peuvent gagner jusqu’à
5.000€ », qui montre que vous confondez chiffre d’affaire et bénéfice,
pour considérer votre « en France,
la dératisation c’est 800 millions d’€ de chiffre d’affaire par an ». Où
avez-vous trouvé ce chiffre ? En 2009 les prestataires 3D (c’est dire
dératisation + désinsectisation + désinfection) ont réalisé 500 M€ de CA avec 3
type des prestations. Ne vous moquez-vous pas du monde, MM. Tresanini et
Vescovacci ?
Votre tirade sur « les
produits raticides qui envahissent les rayons des grandes enseignes de
bricolage » montre surtout que vous n’êtes pas bricoleurs (sauf pour
le montage de vos sujets), puisque ce n’est pas le cas : les rayons phytosanitaires
sont loin d’être ostentatoires dans les grandes surfaces de bricolage…
Ceci étant, la séquence sur l’opération de communication de
la Chambre Syndicale 3D est quasi-honnête : de l’art de se prendre les
pieds dans le tapis, pourrait-on dire… De là à souligner que les dératiseurs
professionnels s’appliquent sciemment « à ne pas tuer tous les rats pour continuer le business », il y
a un pas franchi en toute mauvaise foi et méconnaissance de cause. La réalité
est qu’il est impossible d’éradiquer tous les rats commensaux (chercher sur
Internet la définition de ce mot) et qu’en conséquence, la dératisation
consiste à maintenir leur densité en dessous d’un seuil de nuisance. Prétendre
« qu’on en préserve une partie pour
préserver le business » indique surtout que ces
« professionnels » ne connaissent pas grand chose aux tenants et
aboutissants de leur métier, ou que vous n’avez pas bien compris leurs propos…
Vers 35’, les couplets sur « les rats qui deviennent de plus en plus malins (pour éviter les plaques
de glu) » et ceux « qui
résistent de plus en plus aux anticoagulants » démontrent une nouvelle
foi une inculture coupable sur la biologie et l’éthologie des rats et souris
(consulter mon premier livre pour la combler).
Par contre, lors de la séquence sur le salon professionnel
en Pologne (36’), attardons-nous sur les propos des industriels de la chimie à
qui vous demandez : « Vos
raticides sont-ils efficaces ? »
-
« Utilisés
par un pro qui sait ce qu’il fait, je vous dit oui. Les dératiseurs devraient mieux se former » (BASF).
-
« Ils utilisent mal nos produits. Ils les
mettent n’importe où. Ce sont eux, les problèmes, voilà pourquoi ils vous
disent que nos raticides ne marchent pas » (Bayer).
-
« Le vrai problème, ce sont les dératiseurs
incompétents » (Bell).
Cette unanimité ne semble pas vous avoir interpellé, alors
que les dératiseurs que vous avez suivis (ceux de la ville de Marseille et les
deux parisiens) leur donnent raison. Permettez-moi, MM. Tresanini et
Vescovacci, de douter de votre perspicacité, car là, il y avait matière à
investigation (un élément que vous auriez pu détecter : la certification
obligatoire des dératiseurs ne vaut pas qualification…).
Le propos du Pr Benoit sur la résistance génétique (38’) est
incomplet : il existe aussi une résistance métabolique (sur le
« modèle » des humains alcooliques et tabagiques) provoquée par les
prises répétées de doses non létales de raticides, ce que à quoi reviennent
bien des stratégies actuelles de dératisation (dératiseurs de la ville
Marseille, par exemple).
La séquence qui suit sur le parlement européen (38’30)
commence par un mensonge (volontaires ?) : « les fabricants de raticides ont mis quelques
produits nouveaux sur le marché, mais bizarrement, ils ne sont pas plus
efficaces que les précédents ». C’est en effet totalement
inexact !
Les raticides sont destinés à être ingérés par les rats, et
depuis les années 20 le tour de la question a été largement fait par l’industrie
chimique ; prétendre qu’il existe « sous le manteau » de
nouvelles molécules plus efficaces que les anticoagulants est à la limite de la
diffamation. Pour information, l’alphachloralose, un produit très efficace qui
fonctionne différemment des anticoagulants, a été interdite par l’Europe.
Les propos de M. Angelo Filipo, que vous interviewez à
l’appui de cette affirmation, relèvent de la diffamation. Il avance que les
molécules raticides sont inefficaces car elles sont trop vieilles : le
flocoumafène date de 1984, la bromadiolone de à 1976 et la diféthialone date de
1989.
A 40’07, vous dites « malgré les injonctions de la commission européenne en 2007, les
fabricants de raticides continuent donc à vendre leurs vieux anticoagulants
inefficaces », ce qui est totalement diffamant. Oseriez-vous, vous deux
et M. Filipo, remettre en question l’efficacité de l’aspirine, du paracétamol,
du baclofène ou de l’Augmentin au motif qu’ils datent des années 50 à 70 ?
La réalité est que les anticoagulants sont efficaces quand on sait les
utiliser ; nombre de dératiseurs sérieux, et leurs clients, en attestent.
Nous vous renvoyons aux propos lucides des industriels de la chimie en 36’ de
votre reportage : les produits sont efficaces, mais ce sont les
dératiseurs qui ne le sont pas !
Quand M. Filipo prétend que les chimistes ont toujours un
coup d’avance (en matière de raticides), il se dénonce lui-même : s’il a
travaillé 40 ans dans la chimie, ce n’est pas dans les raticides, car si un
nouveau poison raticide existe dans les cartons, se posera toujours le problème
de son ingestion par les rats, donc de la compétence des dératiseurs. Par
ailleurs, s’il s’agissait vraiment d’une molécule ultra-efficace et
révolutionnaire, elle serait le plus rapidement possible mise sur la marché, pour
les mêmes raisons de marketing évoquées par M. Filipo pour vendre les
« anciens » anticoagulants !
Vous mettez le Pr Benoit dans l’embarras en lui demandant (à
41’45) « ce qu’il se passerait si
demain tous les rats devenaient résistants aux raticides ? », puisqu’
il ne répond pas. Bien joué, mais cela ne vaut pas, car il est coutumier de la
chose (je l’ai mis dans le même genre d’embarras, lors d’une de ses
conférences, en lui demandant s’il ne fallait pas arrêter la technique de la
« dératisation permanente »). Je vais donc répondre pour lui, en
reprenant les arguments qu’il m’avait exposés plus tard, hors de la mise en
lumière de la conférence :
-
Il s’agit d’arrêter de dératiser avec des
anticoagulant pendant un an ou deux : les nouvelles générations de rats
comporteront de plus en plus d’individus non résistants, puisque le gène de
résistance WKORC1 ne sera pas stimulé ;
-
De toute façon, ils ne prolifèreront pas
exponentiellement et indéfiniment, car leur population s’équilibrera en
fonction des possibilités offertes par le milieu qui les accueille.
La longue séquence sur le lobbyiste Andy Adams, Bertrand
Montmoreau et le parlement européen est savoureuse à double titre : vous
pointez leurs manipulations politiques, mais vous présentez négativement leurs
arguments très logiques et de bon sens (et ceux de Mme Lepage) en défense
des anticoagulants. « Investigation », vraiment ?
A titre personnel, je suis bien aise d’apprendre que c’est
grâce à Bertrand Montmoreau que le parlement européen a sauvé les
anticoagulants (46’30). Quel pouvoir a donc ce monsieur… Quand on pense qu’il
s’est fendu d’une lettre ouverte à mon encontre, dans un magazine
professionnel, quel honneur m’a-t-il fait ! Que vat-il bien pouvoir faire
pour se défendre de l’image peu reluisante que vous donnez de lui, MM. Tresanini
et Vescovacci ? Une conférence de presse, une pleine page dans le Figaro
et le Parisien ?
Les plans finaux sur les coûts de développent d’une nouvelle
matière active (48’) sont totalement inappropriés et hors sujet, car les vieux
anticoagulants que vous vilipendez sont toujours efficaces ; il s’agit de
les utiliser correctement, autrement dit, pas comme les dératiseurs que vous
avez filmé à Marseille et Paris…
A 48’46, votre « mais
voilà, si les géants de la chimie inventaient demain une nouvelle molécule
capable de tuer les rats résistants, les fabricants de raticides tueraient par
la même occasion leur poule aux œufs d’or. En 2013, rien qu’en Europe, le
bizness de la dératisation a rapporté un bénéfice de 3 milliards €.
Décidemment, les rats ne sont pas des nuisibles pour tout le monde »
est une saillie totalement irresponsable et indigne du véritable journalisme
d’investigation. D’abord, d’où sort ce chiffre et que recouvre-t-il ? Les
moins de 6.000 dératiseurs français seraient très intéressés de savoir comment
leurs collègues européens s’en sortent si bien, puisque malgré les 5% de
progrès annuel de certains d’entre eux, ils sont loin de se partager la part
française de ce « bénéfice » !
En synthèse, je vous demande, MM. Tresanini et Vescovacci,
de bien vouloir considérer ces quelques éléments :
- -
Les rongeurs commensaux ont un point
faible : leur appétit. Ils consomment en effet 10% de leur poids par jour.
C’est donc sur ce point qu’il faut les attaquer. L’empoisonnement est LA
solution ;
- -
Ils ont une forme d’intelligence et des capacité
cognitives qui leur permettent d’éviter pièges et plaques de glu. Les
stratégies de dératisation basées sur le piégeage ne peuvent donc pas être
aussi efficaces que les poisons ;
- -
Toute stratégie de dératisation doit tenir
compte de la concurrence alimentaire présentée par la nourriture saine
habituelle des rongeurs vs l’appât
empoisonné. L’appétence de ces derniers et leur emplacement (au plus près du
terrier ou du nid) sont fondamentaux en matière de dératisation. C’est le
problème n° 1 de la dératisation chimique, qui est négligé par bien des
dératiseurs, qui invoquent alors injustement la mauvaise qualité des raticides ;
- -
Les anciens anticoagulants sont toujours très efficaces
s’ils sont bien appliqués, et en plus ils moins nocifs pour l’environnement (sur
animaux non cibles) que les derniers anticoagulants plus virulent.
- -
Le problème de la non-efficacité de certaines
dératisations pratiquées par les professionnels provient de leur
formation : 90% des formations sont dispensées par les
formulateurs/distributeurs de raticides, et la certification obligatoire, qui
ne vaut pas qualification, n’aborde pas la biologie et l’éthologie des rats et
souris.
En conclusion, votre reportage témoigne de l’inculture de
notre société sur les rats et souris et maintient les téléspectateurs dans le
concept millénaire « les rats sont dégoutants, ceux qui s’en occupent
aussi ». Il ne s’agit donc pas d’une enquête d’investigation mais d’un
reportage destiné à faire mousser un duo de journalistes en générant une petite
polémique de seconde zone (c’est sûr que le rats et les dératiseurs mobilisent
moins l’attention que les turpitudes des hommes politiques).
A titre subsidiaire, avec votre reportage la profession n’a
que ce qu’elle mérite : la CS3D récolte ce qu’elle sème depuis des
décennies, avec son mélange des genres malsain (industriels de la chimie et
prestataires dans un même syndicat), sa stratégie de communication passéiste et
sa politique de formation incohérente. Je suis curieux de voir comment elle va
réagir à votre émission.
Ceci étant, si le sujet des rats et des dératiseurs vous intéresse
vraiment, MM. Tresanini et Vescovacci, lisez mon premier livre « Des rats et des hommes ».
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