Article initialement écrit le 29 octobre 2014
L’American Society for Microbiology a publié un article qui fait un buzz mondial depuis quelques semaines. Il est ici : http://mbio.asm.org/content/5/5/e01933-14.abstract.
En
résumé : L’utilisation de moyens à la pointe de la technique a permis
d’identifier une quantité impressionnante d’agents pathogènes (dont
l’Ebola, l’Hantavirus et plusieurs nouveaux virus) sur les rats
new-yorkais. Il semblerait que les animaux de compagnie ayant été au
contact des déjections de ces rats « surinfectés » aient contaminés leur maîtres avec l’hépatite C…
Les
commentaires des milieux autorisés (monde médical essentiellement)
fleurent bon un alarmisme de circonstance plus affectif qu’objectif, et
une inculture désolante en matière
de rats... Détricotons le buzz :
- Pour commencer : Y-a-t-il lieu de s’affoler parce que l’on sait seulement aujourd’hui que les rats sont porteurs de microbes horribles et très dangereux depuis toujours ?
-
Ensuite : Si l’on faisait ce même genre d’investigation sur d’autres
animaux commensaux de nos cités, ne pensez-vous pas que l’on
découvrirait le même genre de microbes « effrayants » sur oiseaux,
chiens et chats errants ?
- Et pour finir : ces dernières décennies, quelles zoonoses sont
imputables aux rats d’égout ? aucune ! Voilà qui nous renvoi aux
récentes psychoses dispendieuses de la grippe aviaire et de la grippe A…
Seule
la leptospirose, qui se transmet par l’urine des rats d’égout et des ragondins, est
connue pour infecter occasionnellement des personnes œuvrant dans un
environnement infesté.
Je
laisse au corps médical lucide le soin de désamorcer dans le détail ce
buzz irrationnel pour revenir sur des propos qui concernent les rats
eux-mêmes.
Sur le blog de Jacques Henry (http://www.contrepoints.org/2014/10/21/185288-rats-attention-danger) nous lisons : « (le
rat) est le seul animal avec l’homme à s’entre-tuer sans raison
apparente. « qui se ressemble s’assemble » comme on dit dans les
chaumières. »
Non, les rats se battent à mort (cannibalisme) seulement en cas de famine,
et les survivants comptent bien davantage de femelles que de mâles afin
d’assurer la pérennité de l’espèce. En dehors de ces situations de
manque de nourriture, il n’y a jamais de lutte à mort entre
rats. Rien à voir avec les hommes !
Sur http://franceusamedia.com/2014/10/les-rats-new-yorkais-porteurs-de-virus-et-de-maladies-dangereuses/ nous lisons :
« Dans
la plupart des grandes cités du monde, ces rongeurs prolifèrent près
des populations. C’est d’ailleurs à Chicago et à Los Angeles que l’on
trouve la plus forte densité
de ces animaux
( et de renvoyer vers le lien d'une entreprise qui classe les villes
américaines par le nombre de traitements "rats" effectués par elle...)"
Non,
les rats ne « prolifèrent » pas. Leur population s’équilibre en
fonction des ressources trophiques (possibilités de nidification et
d’alimentation) de l’endroit où ils vivent. Mais il est vrai qu’ils
vivent à proximité de l’homme, pour recycler ses déchets.
Sur http://finance.yahoo.com/news/york-citys-rats-carrying-viruses-130000460.html , nous lisons « Personne
ne sait combien il y a de rats dans le métro de New York, mais Rick
Ostfeld de l'Institut Cary d'études de l'écosystème à Millbrook, NY a
déclaré à Bloomberg Businessweek « qu'il soupçonne qu'il y a autant de rats que il ya des gens dans la
ville » ».
Si,
il y a moyen de savoir combien nos villes comptent de rats par
habitant. Nous avons exposé une expérience de dénombrement de surmulots
en ville dans notre livre « Des rats et des hommes » (Editions Hyform
2013), disponible ici.
Ceci étant, Rick Ostfeld n’est pas inutilement alarmiste et son
estimation diffère notablement de ce qu’on trouve habituellement sur le
Web.
Sur http://www.startribune.com/lifestyle/health/280364312.html, nous lisons « (que la difficulté à les piéger ) est due au fait que les rats de New York sont beaucoup rusés que les rats dans
d'autres villes ».
Ah
bon. Les rats de New-York sont donc plus intelligents que ceux du reste
du monde… C’est tellement « gros » qu’il y a juste à souligner qu’il
n’y a rien qui ressemble plus à un rat de New-York ou de Paris, qu’un
rat de Berlin ou de Tokyo.
Sur http://abc7.com/news/new-study-finds-rats-in-nyc-carry-18-new-viruses/352432/ nous lisons : « Voici
le problème : les rats se multiplient très, très vite ; au cours d'une
année, un couple peut produire plus de 100 enfants, et ainsi de suite,
et ainsi de suite, et ainsi de suite. »
De
l’art de balancer des chiffres qui ne veulent rien dire. Dans de bonnes
conditions (nourriture abondante et peu de prédation), un couple de
rats peut avoir jusqu’à 2.000 descendants en un an, voire 5.000 dans des
conditions idéales (territoire illimité et zéro prédation). Au moins, l’imprécision de l’article n’est pas si alarmiste que ça.
Encore une fois, l’inculture de notre société en matière murine transpire dans ce buzz.
Pierre Falgayrac
www.hyform.fr
Il
s’agit des travaux de MM. Parsons, Samo (Université Hofstra - New-York)
et Deutsch (entomologiste - Arrow exterminateur Company - New-York),
publiés ici http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpubh.2016.00132/full
Le
préambule pose le sujet : New-York hébergerait 2 à 32 millions de rats
(pour 8 millions d’habitants) et il y a un manque de connaissances sur
les rats sauvages et les zoonoses qu’ils pourraient provoquer. D’où
l’intérêt d’utiliser une technique de suivi de rats par radio fréquences
et caméras, afin de suivre l’évolution de leur état de santé (poids,
parasites et germes pathogènes). Cette méthode permettrait de surveiller
les risques potentiels de zoonoses dues aux rats, qui deviendront un
problème de plus en plus important avec l’augmentation des populations
urbaines.
Les cinq phases du protocole sont :
- La sélection des sites et le piégeage des individus ;
- Anesthésie ;
- Analyses sérologique et des ectoparasites ;
- Implantation de la puce électronique ;
- Libération après mise en place d’un leurre à phéromones et d’une balance.
Passons
rapidement sur l’introduction, basée essentiellement sur de la
manipulation d’informations et un alarmisme qui fleure bon des intérêts
corporatistes malgré la déclaration d’absence de conflits d’intérêts en
fin d’article (un des auteurs est dirigeant d’une entreprise de pest
control…). Les études citées en référence ont peu à voir avec le sujet
de l’étude (surtout celles qui concernent le milieu agricole), sont
inutilement inquiétantes (on retrouve celle sur les « 18 nouveaux virus
de rats » et des études de cas infectieux isolés), sont des synthèses
littéraires de publications tierces (ah ! les « révélations » de
SecretLifeCityRat_UrbanEcosystems), ou sont des auteurs eux-mêmes.
Avec des phrases comme :
- « De
nombreuses lacunes relatives à l' écologie du rat et de la surveillance
de la maladie se sont accumulés dans la littérature scientifique» ;
- « Les
rongeurs urbains sont insaisissables, souterrains, et souvent
invisibles, ce qui rend les connaissances à leur sujet vraiment très
difficiles à établir » ;
- « La
(…) plupart des observations conduisent à la désinformation qui se
propage par les récits anecdotiques, par ouï-dire, et les médias. Le
principal moyen pour lutter contre ce problème croissant est de
surmonter les obstacles nécessaires à l' étude des rats urbains in situ,
dans leur environnement normal» ;
- « (la
question de santé publique) soulève la question de savoir combien
d'autres agents pathogènes seront découvert quand les rongeurs seront
plus régulièrement surveillés?» ;
nous
obtenons la magnifique impression que l’humanité est fort dépourvue en
connaissances sur les rats et qu’heureusement nos trois héros vont y
remédier, pour un coût matériel de 15.000 $, jugé « négligeable » vu les enjeux. Et d’affirmer péremptoirement que « de
toute évidence, de nouvelles méthodes sont nécessaires pour surmonter
ces obstacles importants (NDA :peu de documentation sur les zoonoses
murines) et de nouveaux tests détaillés contribuent à ouvrir de
nouvelles perspectives de recherches ».
Des
surmulots sont donc capturés, anesthésiés le temps de leur implanter
une puce sous la peau (20’) puis relâchés dans la même zone, où se
trouve désormais un emplacement avec des chiffons imprégnés d’odeurs et
phéromones d’autres rats, dissimulant une balance permettant de peser
les rats visiteurs, l’ensemble étant filmé par caméra. Certains rats
sont recapturés pour mesurer l’évolution de leurs germes infectieux et
de leurs parasites.
Après
6 mois de relevés sur 7 zones concernant 20 rats chacune, les résultats
sous forme de tableaux indiquent qu’en moyenne, l’endroit a été visité
2,4 secondes et 4,7 fois par jour par les femelles, et 3,5 secondes et
2,6 fois par jour par les mâles.
La balance a été jugée peu probante, car les rats ne se positionnaient pas toujours correctement pour la faire fonctionner…
Comme d’habitude, détricotons le buzz. En commençant par le début.
« New-York hébergerait 2 à 32 millions de rats (pour 8 millions d’habitants) » :
Cette « fourchette » énorme n’a aucun sens ; elle fait référence à
l’étude farfelue du statisticien Jonathan Auerbach concluant à 2
millions de rats et aux légendes urbaines qui avancent 4 rats par
habitant. Au moins le chiffre démontré de 1,75 rats par habitant est
dans cette (immense) fourchette (cf. notre livre « Des rats et des hommes » Éditions Hyfom 2013)…
« Il y a un manque de connaissances sur les rats sauvages et les zoonoses qu’ils pourraient provoquer ». « Les
rongeurs urbains sont insaisissables, souterrains, et souvent
invisibles, ce qui rend les connaissances à leur sujet vraiment très
difficiles à établir » : Faux ! Il y a suffisamment de
publications sur l’éthologie du surmulot, du rat noir et de la souris,
entre quelques livres, de nombreux articles de revues (dont le très complet SecretLifeCityRat_UrbanEcosystems) et les
publications scientifiques en ligne sur Google scholar, pour établir que
l’on connait très bien leur biologie et leur éthologie. Les auteurs,
publiant eux-mêmes sur Google scholar, sont vraiment de mauvaise foi
pour ignorer les publications de leurs collègues !
Quant
aux zoonoses, la réalité est qu’à part les épidémies pesteuses des
siècles passés en Asie et en Europe (dues au rat noir et pas au
surmulot), et la leptospirose à laquelle sont exposés les égoutiers et
ceux qui ont à faire avec le ragondin, il n’a jamais été recensé
d’autres épidémies dues aux rats en milieu urbain. Si les surmulots
étaient vecteurs de maladies infectieuses, ils le seraient depuis
toujours et n’auraient pas attendus le 21ème siècle… Donc, l’argument de la « méthode (qui) permettrait de surveiller les risques potentiels de zoonoses dues aux rats » s’effondre sur lui-même.
Bref,
ces faux préalables suffisent à lancer un plan marketing / médiatique
qui joue sur les peurs de nos contemporains pour préconiser une nouvelle
méthode d’étude qui va rapporter des sous à ses géniteurs.
Au fait, quel est l’intérêt réel de cette étude ? Aucun. Démontrons pourquoi.
Nous
savons depuis des siècles que le surmulot, et tous les autres murinés,
vivent dans un monde d’odeurs au sens où la perception de leur
environnement est essentiellement olfactive ; leur odorat est en effet
100 fois plus discriminant que celui d’un chien, alors que leurs sens du
toucher et de la vision sont très limités (ils voient en niveau de gris
et à moins de 20 mètres). Une étude récente vient d’ailleurs de
confirmer le rôle primordial des vibrisses (les « moustaches ») dans
l’appareil olfactif (http://jeb.biologists.org/content/219/7/937), chose que j’expose depuis 25 ans lors de mes formations.
Que
peut donc produire l’installation de chiffons imprégnés d’odeurs et
phéromones d’autres rats dans la zone d’activité d’une colonie de
surmulots ? De la curiosité méfiante, tout simplement. Pourquoi
méfiante ? Parce que ces odeurs étrangères ne sont pas bienvenues au
sein d’une colonie dont la population est stabilisée, car dépendante des
ressources alimentaires et des possibilités de nidification. Il est
facile de concevoir que l’odeur persistante d’individus étrangers en un
point particulier perturbe les rats au point de l’« inspecter »
plusieurs fois par jour. Peu importe alors par qui et à quelle
fréquence ! A la limite, que les femelles aient « inspecté » les
chiffons un peu plus souvent mais moins longtemps que les mâles confirme
qu’elles sont soucieuses de la protection de leur progéniture et que
les mâles s’assurent bien qu’ils n’ont pas à en découdre avec un
importun. La seule chose à retenir de cette expérience est que tous les
rats qui se déplacent dans la zone des chiffons vont les sentir puis
continuent leur chemin, et qu’ils agissent ainsi tant que les chiffons
dégagent des odeurs. Tout au plus peut-on déduire que si un individu
« étranger » avait été déposé au même endroit, en lieu et place des
chiffons, il aurait suscité l’attention peu bienveillante des gros mâles
qui ont inspecté le plus longtemps les chiffons…
Deux des auteurs avaient déjà conduit une expérience qui confirme que les rats sont sensibles aux phéromones (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed?Db=pubmed&Cmd=ShowDetailView&TermToSearch=23590323). Ils démontrent par l’étude présente qu’aller plus loin n’apporte pas grand-chose.
Quant aux « enseignement éthologiques » tirés de l’étude, ils frisent le ridicule ! « Du
point de vue éthologique, on peut distinguer des comportements
différents entre les mâles et les femelles, y compris les adultes et les
jeunes, les comportements des dominants et dominés et les temps
d'activité de pointe. » : Non, les statistiques ne démontrent rien
d’autre qu’une colonie a été perturbée par des odeurs étrangères, point.
Seules des expériences basées sur l’accès à une quantité réduite de
nourriture et/ou des possibilités insuffisantes de nidification
permettent de dégager la hiérarchisation d’une colonie murine, en
fonction de la force physique des individus. Et ces études n’ont pas
besoin de capturer des rats pour leur mettre une puce sous la peau après
les avoir anesthésiés.
Mais la cerise sur le gâteau est là : Plus
important encore, les données d'identification individuelle des
rongeurs permettent d’évaluer les agents pathogènes dont ils sont
porteurs, surtout pour les individus capturés à plusieurs reprises, qui
permettent de suivre dans le temps l'évolution des agents pathogènes.
Par exemple, il y a une incidence plus élevée de bactéries tels que
Borrelia ou Rickettsia, tard dans la saison, alors qu’elles étaient
peut-être absentes au début du printemps. En outre, certains rongeurs
peuvent occasionner une nuisance pathogènes supplémentaires lorsqu’ils
migrent saisonnièrement des espaces de parc publics aux égouts en hiver
avant de ressortir (un processus appelé «migration verticale », d’après
Corrigan).
Cette
étude nous apprend donc que les microorganismes pathogènes du printemps
et de l’automne ne sont pas les mêmes (quelle avancée scientifique !)
et suppose qu’il y a un risque de zoonose lors des migrations
« verticales » des rats, selon qu’ils quittent ou gagnent les égouts ou
la surface. D’abord, répétons-le, les zoonoses dues aux surmulots sont
une fable. Ensuite, cette histoire de « migration verticale »
évoquée par M. Corrigan dans une étude privée sur les rats new-yorkais
est sujette à caution. Que l’hiver incite des rats de surface à
s’abriter dans les égouts est "antropomorphiquement" cohérent, mais inexact biologiquement parlant : pourquoi les rats abandonneraient-ils leurs sources de nourriture et
leurs terriers adaptés aux froidures hivernales ? Par ailleurs, rien ne
dit que les rats installés dans les égouts les accueilleraient à bras
ouverts… C’est même tout le contraire qui se produirait ! Les
populations de rats étant stabilisées par les ressources alimentaires et
de nidification, ils n’ont aucune raison de migrer tant que ces
conditions sont bonnes, ni d’accueillir de nouveaux arrivants. Donc, ce
concept de « migration verticale » paraît vraiment peu crédible, hors travaux d’excavation évidemment.
Ceci
étant, quelle est la raison profonde qui a motivé cette étude ? Comme
souvent avec les études américaines, elle se révèle dans le contenu « Il
est de notoriété publique que les rats vus dans la journée indiquent
qu’il y a une populations anormalement élevée dans l'environnement
immédiat. Pourtant, la plupart des détections de rats sont basées sur un
petit nombre d'individus de manière disproportionnée (…), ce qui
conduit à des généralisations (infondées). (…) la plupart des
observations conduisent à la désinformation qui se propage par des
récits anecdotiques, par ouï-dire, et les médias. Les principaux moyens
pour lutter contre ce problème croissant sont de surmonter les obstacles
nécessaires à l' étude des rats urbains in situ, dans leur
environnement normal, répliqués au niveau de chaque animal. »
Tiens
donc, il semblerait bien que le service New-Yorkais du n° 312, le « Rat
Portail », ait réalisé ce que je subodorais dans un précédent article :
« Les signalements téléphoniques de rats sont davantage un outil
statistique de l’humeur des citadins et de l’ambiance de leur quartier
qu’une base de données fiables pour décompter des rats de NYC » (voir un précédent article de ce blog : http://hyform.blogspot.fr/2016/01/new-york-2-ou-8-millions-de-rats.html. Cette étude s’inscrit donc dans un vaste dispositif de manipulation
des électeurs new-yorkais, à qui il faut démontrer que la mairie
s’occupe activement du problème des rats, potentiellement vecteurs de
maladies nouvelles. Et tant qu’à faire, on en cause au monde entier,
sous couvert d’avancée scientifique…
Pierre Falgayrac