Le rapport
complet est en ligne ici :
http://www.sncf-reseau.fr/sites/default/files/upload/_Import/pdf/Rapport_d_enquete_Rattrapage_Denguin.pdf
On y
lit :
« Constats effectués le samedi 19/07/14 à l’occasion de
la visite des installations organisée par l’autorité judiciaire :
- Un relais de signalisation présente un positionnement
anormal ;
- La présence de traces d’habitat de rongeurs est constatée ;
- Après ouverture des chemins de câble du centre, il
est constaté que plusieurs fils conducteurs sont dénudés partiellement ou
présentent une partie isolante attaquée par des rongeurs mettant ainsi à nu
ponctuellement la partie conductrice des fils conducteurs concernés (voir
annexe 8). Les investigations menées ce jour-là n’ont pas permis de déterminer
avec plus de précision quels étaient les fils conducteurs affectés ;
- Plombage du dispositif « borne de maintenance » en
place, mais ne présentant pas la marque d’une pince à plomber, ce point
mériterait d’être éclairci ;
- De nombreux plombs non coupés jonchent le sol de la
guérite ;
- Les essayeurs ont éprouvé des difficultés à ouvrir
les ES8 (éléments de sectionnement) en tête de câble ;
- Les règles de l’art en matière de protection contre
les rongeurs, lors de la construction de ce centre, n’ont pas été respectées de
façon exhaustive (mesures contre les intrusions, calfeutrement, ...). »
(…)
« A ce stade de l’enquête :
- compte tenu des constats faits et des entretiens
qu’elle a pu mener,
- constatant en particulier des traces de rongeurs
dans le centre de signalisation et la présence de nombreux fils conducteurs
partiellement dénudés,
- et sous réserve des expertises complémentaires à
conduire, la Direction des Audits de Sécurité privilégie l’hypothèse d’une
réalimentation intempestive du relais de commande à voie libre du sémaphore 23
(S23). Cette
réalimentation serait la conséquence directe d’un
contact fortuit entre deux fils conducteurs partiellement dénudés et d’une
conjonction de circonstances techniques exceptionnelles (proximité des câbles,
présence de courant, mise en contact des conducteurs, par vibrations par
exemple, séquence particulière conduisant à une conséquence sur un élément de
sécurité).
Les conclusions formelles et définitives de l’enquête
appartiennent aux autorités judiciaires.
Néanmoins, à titre de précaution, la Direction des
Audits de Sécurité préconise :
1.
de procéder dans un premier temps à la visite
des centres de signalisation de cantonnement selon un calendrier hiérarchisé à
préciser, en procédant d’une part à la mesure d’isolement global des
installations et d’autre part à la vérification visuelle des équipements
présents dans les centres, et notamment le bon état des câbles
électriques ;
2.
de procéder dans un second temps à la visite
complémentaire des autres centres de pleine voie ;
3. de mener
un examen approfondi des normes de conception visant à renforcer encore la
prévention contre ce type de risque exceptionnel, à la fois par des
spécifications techniques sur les circuits de signalisation (séparation de
circuits, durcissement des sections de fils conducteurs, etc...), mais
également par la protection contre les rongeurs, d’engager le réexamen des
normes d’entretien, en particulier au regard de la protection contre les
rongeurs ;
4.
d’engager le réexamen des normes d’entretien, en
particulier au regard de la protection contre les rongeurs,
5. de s’assurer par ailleurs de la bonne
appropriation par l’ensemble des acteurs concernés des procédures de protection
technique à mettre en œuvre avant toute intervention dans le cadre de la
maintenance préventive ou corrective. »
(…)
L’annexe 8
présente des photos de fils rongés dans la guérite et l’annexe 9 est le plan de
lutte contre les rongeurs adopté par la SNCF. Le voici :
LUTTE CONTRE LES RONGEURS
Il arrive parfois que des
rongeurs pénètrent dans nos installations et rongent des câbles sans que la
sécurité soit pour autant engagée (sauf conjonction exceptionnelle type
Denguin).
D’autres réseaux et
d’autres industries connaissent ce genre de problème.
Des mesures existent : des
dispositions précises sont reprises dans des instructions techniques IN 0494 et
dans les instructions de conception DES 184 et de travaux IN 7157.
Des études sont également
conduites par la SNCF, parfois en collaboration (Muséum d’Histoire Naturelle),
visant à améliorer la protection de nos installations.
Ces règles se fondent sur 2 principes
- Des mesures de Conception ;
- Des mesures de Surveillance et de Maintenance.
Les câbles
Chaque câble est
techniquement spécifié pour un usage précis. De manière générale et depuis les
années 90 les câbles sont blindées. Les câbles de ligne mis en œuvre dans les
installations sont équipés d’une enveloppe métallique. Ces principes étendus à
certains câbles locaux en 1989, permettent d’obtenir une protection efficace.
Des mesures de renforcement ont été décidées en 2008.
(Suit un tableau des caractéristique
des câbles)
Mesures de prévention et de conception
Les règles ci-après sont à
appliquer lors de l'établissement ou de la modification des installations électriques,
de manière à interdire la pénétration des rongeurs dans les postes et centres
d'appareillages.
- Placer les câbles en tranchées chaque fois que
cela est possible,
-
Obturer
les extrémités des caniveaux débouchant dans les centres d'appareillage par un
bouchon de laine de verre maintenu par un tampon de plâtre ou de ciment maigre,
-
Combler
les soubassements de guérite ou d'armoire avec du gravier,
-
Réaliser
les entrées de câblage au moyen de fourreaux, ceux-ci étant ensuite obturés,
-
Éviter la
multiplication des entrées de câbles,
-
Soigner
l'étanchéité de ces centres,
-
Munir les
bouches de ventilation, justifiées par des conditions réglementaires ou de
salubrité (fort taux d'humidité), d'un fort grillage à mailles fines en inox ou
traité contre l'oxydation,
-
Condamner
les bouches de ventilations ainsi que les passages divers dans les centres
d'appareillage, etc. qui ne seraient pas utiles,
-
Obturer
les entrées de câbles et de conducteurs isolés dans les appareils. Cette
précaution est particulièrement importante sur les installations où les
rongeurs peuvent provoquer des incidents graves (coincement d'un moteur
d'aiguille, ou d'un moteur de barrière de PN à SAL, etc.),
-
Établir
les câblages intérieurs en torons ou ouvrir les goulottes après avoir immobilisé
les conducteurs lorsque la situation le justifie,
- Vérifier l'obturation des platines.
Si, malgré toutes les précautions prises, on constate
la présence de rongeurs, il convient
- - De rechercher rapidement et très attentivement
toutes les possibilités de pénétrations par les canalisations, les gaines, les
caniveaux, etc. et de réaliser les obturations nécessaires au plus tôt,
-
- De
recourir à la dératisation éventuellement,
-
- D'ouvrir
les goulottes en prenant soin d'immobiliser les conducteurs si l'installation
en est dotée et si l'ouverture n'a pas déjà été réalisée.
Les études
- Études sur le
comportement de l’animal
- Généralisation dans la
mesure du possible de câbles renforcés
- Isolants de câbles et
fils répulsifs ou renforcés
- Barrières techniques ou
barrières électriques
« Il s’agit d’une
conjonction technique très exceptionnelle et sans précédent connu sur ce type
d’équipement.
Elle comporte le cumul de trois
événements : l’action de rongeurs sur les gaines d’isolement des câbles, malgré
le dispositif de précaution existant ; le fait que les deux fils
détériorés étaient situés à l’extrémité de la chaîne électrique commandant le
signal ; enfin une séquence défavorable provoquant la mise en contact de
deux fils électriques, comme des vibrations ou encore la mise en tension des
circuits voisins. »
Ces préalables étant posés, voici ma
contribution à l’analyse de cet accident et à l’amélioration du plan de lutte
contre les rongeurs de la SNCF
Le problème
posé est simple :
-
- Des rongeurs sont à l’origine du
dysfonctionnement électrique du signal qui a trompé un chauffeur de train ;
- - Le dispositif de protection (un appât
empoisonné) n’a pas fonctionné.
Le rapport
d’expertise n’analyse pas pourquoi des rongeurs se trouvaient là. Quantités de
guérites qui présentent les mêmes défauts d’étanchéité et de circuits non
séparés n’ont pas connu de dysfonctionnements, bien que la présence de rongeurs
soit avérée dans certaines. Il tombe donc sous le sens que la question de la
raison de la présence des rongeurs dans les guérites mérite d’être posé.
Elle en entraîne une autre : Pourquoi les rongeurs s’attaquent-ils aux
gaines des câbles électriques ?
En
conséquence, l’identification des rongeurs incriminés est fondamentale, car
c’est la connaissance de leur biologie qui permettra de répondre à ces questions.
Notons qu’à aucun moment il n’a été précisé qu’il s’agissait peut-être de
souris et que le Web a fait le buzz autour des rats.
Les photos
publiés sur le Web montrent par le type de nidification et la taille des
crottes, qu’il s’agissait plutôt de souris que de rats. (photos journal
Sud-ouest)
Pourquoi
est-ce important de le préciser ? Parce qu’on ne lutte pas de la même
façon contre des rongeurs qui ont des comportements différents.
L’environnement de la guérite
semble plus favorable au rat surmulot qu’à la souris, qui vit généralement à
l’intérieur des bâtiments ; mais nous sommes en été dans le sud du pays,
où elle peut donc vivre à l’extérieur.
Le rat
surmulot n’aurait pu être attiré par la guérite que s’il y avait à manger à
proximité, mais comme il préfère creuser un terrier au frais plutôt que faire
un nid de chiffons et papiers au chaud, il y a fort peu de chances, voire quasi-impossibilité,
qu’il soit attiré par la guérite (sauf éventuellement par l’appât empoisonné,
mais c’est un autre sujet que nous aborderons plus loin).
Revenons aux
souris, qui ont besoin chacune d’environ 2,5 grammes de nourriture par jour
(10% de leur poids). Il est évident qu’elles les trouvent dans l’environnement
végétal, mais pour s’abriter des prédateurs et des températures plus fraiches
de la nuit, la guérite est idéale, surtout qu’elles y rentrent facilement. À
supposer que les passages de câbles soient bouchés à « la laine verre ou au plâtre ou au ciment
maigre », quelques coups de dents leur auraient frayé un passage vers
l’intérieur. En effet, seul l’acier résiste à leurs dents… Les
conclusions de l’expertise tirent le drap du côté de l’étanchéité à parfaire
dans les guérites, mais les techniques préconisées ne constituent aucunement
une barrière dissuasive pour souris et rats !
Seuls
certains mastics ayant une composition particulière, vendus par des
professionnels de la lutte contre les
nuisibles, peuvent constituer une barrière sûre. À défaut, des tampons
de laine d’acier destinés à la vaisselle ou l’ébénisterie feront très bien
l’affaire, et pour moins cher !
Et que
trouvent les souris en recherche de chaleur dans la guérite ? Un appât
rodenticide. À supposer qu’il soit plus appétissant que la nourriture saine de
l’extérieur, elles le consomment en plusieurs fois et ne sortent plus à
l’extérieur. Le poison anticoagulant (AVK) agit en effet après deux à quatre
repas. Entre ces repas, même affaiblies par l’AVK, il leur faut user leurs
dents hypsodontes (qui poussent permanence)… Et que trouvent-elles à
ronger ? Rien d’autre que les gaines plastique des câbles
électriques !
Voilà le
fond du problème : Un appât rodenticide ne peut pas constituer un
dispositif de protection, puisqu’il « fixe » le rongeur jusqu’à plusieurs
jours dans l’installation technique, temps pendant lequel il peut nuire. Il
agit donc à l’inverse du but recherché !
Ce qui
attire les rongeurs, c’est avant tout la nourriture, ce qui les fixe c’est la
possibilité de nicher à proximité : Il s’agit des ressources trophiques.
Dans le cas des guérites de la SNCF, ces deux conditions sont réunies lorsqu’une
source de nourriture est à proximité (poubelle, déchets…), ou dans la guérite
(appât à action lente).
Les
biologies du surmulot (Rattus norvegicus)
et du rat noir(Rattus rattus) ne sont
guère « compatibles » avec les guérites en bord de voie ferrée de la
SNCF. L’un, comme déjà dit, préfèrera creuser un terrier à l’extérieur, l’autre
pourrait faire un gros nid ressemblant à celui des souris, mais les passages de
trains, avec force vibrations et bruits, le dissuaderont de s’installer.
Seule la
souris, donc, est susceptible de causer des dégâts aux guérites. Il serait
intéressant d’avoir des photos des indices de présence de rongeurs dans
d’autres guérites : Les crottes de la taille d’un grain de riz sont celles
de souris, des nids de papier, tissus et feuilles sont ceux de souris.
Que faire
pour éviter que des rongeurs rongent à nouveau des fils ? Il faut revoir
le plan de lutte SNCF contre les rongeurs.
Sans entrer
dans les détails, en voici les grandes lignes :
- - Étanchéifier les accès possibles avec
des mastics répulsifs « prévus pour » et/ou des tampons de laine
d’acier ;
- - Utiliser exclusivement des grilles
d’acier à maillage fin (<5mm) ;
- - Utiliser du béton armé pour les soubassements,
dés que cela est possible ;
- - Là où le risque rongeur est
important, installer des générateurs d’ultrasons à balayage de fréquences (pour
éviter les phénomènes d’accoutumance) ;
- - Là où le risque est faible, utiliser
des appâts anticoagulants de dernière génération (Brodifacoum, Difethialone) en
pâte (ou gel). Étant hydratés, ils attireront plus facilement les rongeurs
qu’un bloc hydrofuge, et un à deux repas suffiront pour tuer les rongeurs.
- Et placer un morceau de branchage
naturel à proximité : Les rongeurs le choisiront de préférence aux gaines
de câbles.
-
Rien de bien compliqué en somme. Mais je doute que les pontes de la SNCF
lisent mon blog ou me prennent au sérieux, vu que je ne suis pas intervenant au
Muséum d’Histoire Naturelle.
Au fait, pourquoi les cheminots posent-ils des appâts dans les
guérites ? Parce qu’ils ont vu des applicateurs d’entreprises de 3D faire
ainsi, à l’époque où la SNCF sous-traitait ce travail.
Là aussi, comme il n’y avait rien de bien compliqué à faire, autant le
faire soi-même ont décidé les grands chefs de la SNCF.
Quand je disais, dans un autre article, que le métier se tirait une balle
dans le pied, avec des pratiques de poseur de boite et puis s’en va, et des
certifications bidon…
Et pendant ce temps-là, comme depuis toujours, les souris dansent. Dans
les guérites de la SNCF.
Pierre Falgayrac
www.hyform.fr