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mercredi 21 septembre 2016

Dix-huit nouveaux virus de rats

 Article initialement écrit le 29 octobre 2014


L’American Society for Microbiology a publié un article qui fait un buzz mondial depuis quelques semaines. Il est ici : http://mbio.asm.org/content/5/5/e01933-14.abstract.
En résumé : L’utilisation de moyens à la pointe de la technique a permis d’identifier une quantité impressionnante d’agents pathogènes (dont l’Ebola, l’Hantavirus et plusieurs nouveaux virus) sur les rats new-yorkais. Il semblerait que les animaux de compagnie ayant été au contact des déjections de ces rats « surinfectés » aient contaminés leur maîtres avec l’hépatite C…
Les commentaires des milieux autorisés (monde médical essentiellement) fleurent bon un alarmisme de circonstance plus affectif qu’objectif, et une inculture désolante en matière
de rats... Détricotons le buzz :

- Pour commencer : Y-a-t-il lieu de s’affoler parce que l’on sait seulement aujourd’hui que les  rats sont porteurs de microbes horribles et très dangereux depuis toujours ?
- Ensuite : Si l’on faisait ce même genre d’investigation sur d’autres animaux commensaux de nos cités, ne pensez-vous pas que l’on découvrirait le même genre de microbes « effrayants » sur oiseaux, chiens et chats errants ?

- Et pour finir : ces dernières décennies, quelles zoonoses sont imputables aux rats d’égout ? aucune ! Voilà qui nous renvoi aux récentes psychoses dispendieuses de la grippe aviaire et de la grippe A…

Seule la leptospirose, qui se transmet par l’urine des rats d’égout et des ragondins, est connue pour infecter occasionnellement des personnes œuvrant dans un environnement infesté.
Je laisse au corps médical lucide le soin de désamorcer dans le détail ce buzz irrationnel pour revenir sur des propos qui concernent les rats eux-mêmes.

Sur le blog de Jacques Henry (http://www.contrepoints.org/2014/10/21/185288-rats-attention-danger) nous lisons : « (le rat) est le seul animal avec l’homme à s’entre-tuer sans raison apparente. « qui se ressemble s’assemble » comme on dit dans les chaumières. »
 Non, les rats se battent à mort (cannibalisme) seulement en cas de famine, et les survivants comptent bien davantage de femelles que de mâles afin d’assurer la pérennité de l’espèce. En dehors de ces situations de manque de nourriture, il n’y a jamais de lutte à mort entre
rats. Rien à voir avec les hommes !


Sur http://franceusamedia.com/2014/10/les-rats-new-yorkais-porteurs-de-virus-et-de-maladies-dangereuses/ nous lisons :
« Dans la plupart des grandes cités du monde, ces rongeurs prolifèrent près des populations. C’est d’ailleurs à Chicago et à Los Angeles que l’on trouve la plus forte densité
de ces animaux 
( et de renvoyer vers le lien d'une entreprise qui classe les villes américaines par le nombre de traitements "rats" effectués par elle...)"

Non, les rats ne « prolifèrent » pas. Leur population s’équilibre en fonction des ressources trophiques (possibilités de nidification et d’alimentation) de l’endroit où ils vivent. Mais il est vrai qu’ils vivent à proximité de l’homme, pour recycler ses déchets.

Sur http://finance.yahoo.com/news/york-citys-rats-carrying-viruses-130000460.html , nous lisons « Personne ne sait combien il y a de rats dans le métro de New York, mais Rick Ostfeld de l'Institut Cary d'études de l'écosystème à Millbrook, NY a déclaré à Bloomberg Businessweek « qu'il soupçonne qu'il y a autant de rats que il ya des gens dans la
ville » ».

Si, il y a moyen de savoir combien nos villes comptent de rats par habitant. Nous avons exposé une expérience de dénombrement de surmulots en ville dans notre livre « Des rats et des hommes » (Editions Hyform 2013), disponible ici. Ceci étant, Rick Ostfeld n’est pas inutilement alarmiste et son estimation diffère notablement de ce qu’on trouve habituellement sur le Web.

Sur  http://www.startribune.com/lifestyle/health/280364312.html, nous lisons « (que la difficulté à les piéger ) est due au fait que les rats de New York sont beaucoup rusés que les rats dans
d'autres villes
 ».

Ah bon. Les rats de New-York sont donc plus intelligents que ceux du reste du monde… C’est tellement « gros » qu’il y a juste à souligner qu’il n’y a rien qui ressemble plus à un rat de New-York ou de Paris, qu’un rat de Berlin ou de Tokyo.
Sur http://abc7.com/news/new-study-finds-rats-in-nyc-carry-18-new-viruses/352432/ nous lisons : « Voici le problème : les rats se multiplient très, très vite ; au cours d'une année, un couple peut produire plus de 100 enfants, et ainsi de suite, et ainsi de suite, et ainsi de suite. »

De l’art de balancer des chiffres qui ne veulent rien dire. Dans de bonnes conditions (nourriture abondante et peu de prédation), un couple de rats peut avoir jusqu’à 2.000 descendants en un an, voire 5.000 dans des conditions idéales (territoire illimité et zéro prédation). Au moins, l’imprécision de l’article n’est pas si alarmiste que ça.
Encore une fois, l’inculture de notre société en matière murine transpire dans ce buzz.

Pierre Falgayrac
www.hyform.fr

Un protocole pour la surveillance des rats en tant que vecteurs de maladies à New-York

Il s’agit des travaux de MM. Parsons, Samo (Université Hofstra - New-York) et Deutsch (entomologiste - Arrow exterminateur Company - New-York), publiés ici http://journal.frontiersin.org/article/10.3389/fpubh.2016.00132/full
Le préambule pose le sujet : New-York hébergerait 2 à 32 millions de rats (pour 8 millions d’habitants) et il y a un manque de connaissances sur les rats sauvages et les zoonoses qu’ils pourraient provoquer. D’où l’intérêt d’utiliser une technique de suivi de rats par radio fréquences et caméras, afin de suivre l’évolution de leur état de santé (poids, parasites et germes pathogènes). Cette méthode permettrait de surveiller les risques potentiels de zoonoses dues aux rats, qui deviendront un problème de plus en plus important avec l’augmentation des populations urbaines.
Les cinq phases du protocole sont :
  • La sélection des sites et le piégeage des individus ;
  • Anesthésie ;
  • Analyses sérologique et des ectoparasites ;
  • Implantation de la puce électronique ;
  • Libération après mise en place d’un leurre à phéromones et d’une balance.
Passons rapidement sur l’introduction, basée essentiellement sur de la manipulation d’informations et un alarmisme qui fleure bon des intérêts corporatistes malgré la déclaration d’absence de conflits d’intérêts en fin d’article (un des auteurs est dirigeant d’une entreprise de pest control…). Les études citées en référence ont peu à voir avec le sujet de l’étude (surtout celles qui concernent le milieu agricole), sont inutilement inquiétantes (on retrouve celle sur les « 18 nouveaux virus de rats » et des études de cas infectieux isolés), sont des synthèses littéraires de publications tierces (ah ! les « révélations » de SecretLifeCityRat_UrbanEcosystems), ou sont des auteurs eux-mêmes.
Avec des phrases comme :
  • « De nombreuses lacunes relatives à l' écologie du rat et de la surveillance de la maladie se sont accumulés dans la littérature scientifique» ;
  • « Les rongeurs urbains sont insaisissables, souterrains, et souvent invisibles, ce qui rend les connaissances à leur sujet vraiment très difficiles à établir » ;
  • « La (…) plupart des observations conduisent à la désinformation qui se propage par les récits anecdotiques, par ouï-dire, et les médias. Le principal moyen pour lutter contre ce problème croissant est de surmonter les obstacles nécessaires à l' étude des rats urbains in situ, dans leur environnement normal» ;
  • « (la question de santé publique) soulève la question de savoir combien d'autres agents pathogènes seront découvert quand les rongeurs seront plus régulièrement surveillés?» ;
nous obtenons la magnifique impression que l’humanité est fort dépourvue en connaissances sur les rats et qu’heureusement nos trois héros vont y remédier, pour un coût matériel de 15.000 $, jugé « négligeable » vu les enjeux. Et d’affirmer péremptoirement que « de toute évidence, de nouvelles méthodes sont nécessaires pour surmonter ces obstacles importants (NDA :peu de documentation sur les zoonoses murines) et de nouveaux tests détaillés contribuent à ouvrir de nouvelles perspectives de recherches ».
Des surmulots sont donc capturés, anesthésiés le temps de leur implanter une puce sous la peau (20’) puis relâchés dans la même zone, où se trouve désormais un emplacement avec des chiffons imprégnés d’odeurs et phéromones d’autres rats, dissimulant une balance permettant de peser les rats visiteurs, l’ensemble étant filmé par caméra. Certains rats sont recapturés pour mesurer l’évolution de leurs germes infectieux et de leurs parasites.
Après 6 mois de relevés sur 7 zones concernant 20 rats chacune, les résultats sous forme de tableaux indiquent qu’en moyenne, l’endroit a été visité 2,4 secondes et 4,7 fois par jour par les femelles, et 3,5 secondes et 2,6 fois par jour par les mâles.

La balance a été jugée peu probante, car les rats ne se positionnaient pas toujours correctement pour la faire fonctionner…

Comme d’habitude, détricotons le buzz. En commençant par le début.
« New-York hébergerait 2 à 32 millions de rats (pour 8 millions d’habitants) » : Cette « fourchette » énorme n’a aucun sens ; elle fait référence à l’étude farfelue du statisticien Jonathan Auerbach concluant à 2 millions de rats et aux légendes urbaines qui avancent 4 rats par habitant. Au moins le chiffre démontré de 1,75 rats par habitant est dans cette (immense) fourchette (cf. notre livre « Des rats et des hommes » Éditions Hyfom 2013)…
« Il y a un manque de connaissances sur les rats sauvages et les zoonoses qu’ils pourraient provoquer ». « Les rongeurs urbains sont insaisissables, souterrains, et souvent invisibles, ce qui rend les connaissances à leur sujet vraiment très difficiles à établir »  : Faux ! Il y a suffisamment de publications sur l’éthologie du surmulot, du rat noir et de la souris, entre quelques livres, de nombreux articles de revues (dont le très complet SecretLifeCityRat_UrbanEcosystems) et les publications scientifiques en ligne sur Google scholar, pour établir que l’on connait très bien leur biologie et leur éthologie. Les auteurs, publiant eux-mêmes sur Google scholar, sont vraiment de mauvaise foi pour ignorer les publications de leurs collègues ! 

Quant aux zoonoses, la réalité est qu’à part les épidémies pesteuses des siècles passés en Asie et en Europe (dues au rat noir et pas au surmulot), et la leptospirose à laquelle sont exposés les égoutiers et ceux qui ont à faire avec le ragondin, il n’a jamais été recensé d’autres épidémies dues aux rats en milieu urbain. Si les surmulots étaient vecteurs de maladies infectieuses, ils le seraient depuis toujours et n’auraient pas attendus le 21ème siècle… Donc, l’argument de la « méthode (qui) permettrait de surveiller les risques potentiels de zoonoses dues aux rats » s’effondre sur lui-même.

Bref, ces faux préalables suffisent à lancer un plan marketing / médiatique qui joue sur les peurs de nos contemporains pour préconiser une nouvelle méthode d’étude qui va rapporter des sous à ses géniteurs.

Au fait, quel est l’intérêt réel de cette étude ? Aucun. Démontrons pourquoi.
Nous savons depuis des siècles que le surmulot, et tous les autres murinés, vivent dans un monde d’odeurs au sens où la perception de leur environnement est essentiellement olfactive ; leur odorat est en effet 100 fois plus discriminant que celui d’un chien, alors que leurs sens du toucher et de la vision sont très limités (ils voient en niveau de gris et à moins de 20 mètres). Une étude récente vient d’ailleurs de confirmer le rôle primordial des vibrisses (les « moustaches ») dans l’appareil olfactif (http://jeb.biologists.org/content/219/7/937), chose que j’expose depuis 25 ans lors de mes formations.

Que peut donc produire l’installation de chiffons imprégnés d’odeurs et phéromones d’autres rats dans la zone d’activité d’une colonie de surmulots ? De la curiosité méfiante, tout simplement. Pourquoi méfiante ? Parce que ces odeurs étrangères ne sont pas bienvenues au sein d’une colonie dont la population est stabilisée, car dépendante des ressources alimentaires et des possibilités de nidification. Il est facile de concevoir que l’odeur persistante d’individus étrangers en un point particulier perturbe les rats au point de l’« inspecter » plusieurs fois par jour. Peu importe alors par qui et à quelle fréquence ! A la limite, que les femelles aient « inspecté » les chiffons un peu plus souvent mais moins longtemps que les mâles confirme qu’elles sont soucieuses de la protection de leur progéniture et que les mâles s’assurent bien qu’ils n’ont pas à en découdre avec un importun. La seule chose à retenir de cette expérience est que tous les rats qui se déplacent dans la zone des chiffons vont les sentir puis continuent leur chemin, et qu’ils agissent ainsi tant que les chiffons dégagent des odeurs. Tout au plus peut-on déduire que si un individu « étranger » avait été déposé au même endroit, en lieu et place des chiffons, il aurait suscité l’attention peu bienveillante des gros mâles qui ont inspecté le plus longtemps les chiffons…

Deux des auteurs avaient déjà conduit une expérience qui confirme que les rats sont sensibles aux phéromones (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed?Db=pubmed&Cmd=ShowDetailView&TermToSearch=23590323). Ils démontrent par l’étude présente qu’aller plus loin n’apporte pas grand-chose.

Quant aux « enseignement éthologiques » tirés de l’étude, ils frisent le ridicule ! « Du point de vue éthologique, on peut distinguer des comportements différents entre les mâles et les femelles, y compris les adultes et les jeunes, les comportements des dominants et dominés et les temps d'activité de pointe. » : Non, les statistiques ne démontrent rien d’autre qu’une colonie a été perturbée par des odeurs étrangères, point. Seules des expériences basées sur l’accès à une quantité réduite de nourriture et/ou des possibilités insuffisantes de nidification permettent de dégager la hiérarchisation d’une colonie murine, en fonction de la force physique des individus. Et ces études n’ont pas besoin de capturer des rats pour leur mettre une puce sous la peau après les avoir anesthésiés.

Mais la cerise sur le gâteau est là :  Plus important encore, les données d'identification individuelle des rongeurs permettent d’évaluer les agents pathogènes dont ils sont porteurs, surtout pour les individus capturés à plusieurs reprises, qui permettent de suivre dans le temps l'évolution des agents pathogènes. Par exemple, il y a une incidence plus élevée de bactéries tels que Borrelia ou Rickettsia, tard dans la saison, alors qu’elles étaient peut-être absentes au début du printemps. En outre, certains rongeurs peuvent occasionner une nuisance pathogènes supplémentaires lorsqu’ils migrent saisonnièrement des espaces de parc publics aux égouts en hiver avant de ressortir (un processus appelé «migration verticale », d’après Corrigan).

Cette étude nous apprend donc que les microorganismes pathogènes du printemps et de l’automne ne sont pas les mêmes (quelle avancée scientifique !) et suppose qu’il y a un risque de zoonose lors des migrations « verticales » des rats, selon qu’ils quittent ou gagnent les égouts ou la surface. D’abord, répétons-le, les zoonoses dues aux surmulots sont une fable. Ensuite, cette histoire de « migration verticale » évoquée par M. Corrigan dans une étude privée sur les rats new-yorkais est sujette à caution. Que l’hiver incite des rats de surface à s’abriter dans les égouts est "antropomorphiquement" cohérent, mais inexact biologiquement parlant : pourquoi les rats abandonneraient-ils leurs sources de nourriture et leurs terriers adaptés aux froidures hivernales ? Par ailleurs, rien ne dit que les rats installés dans les égouts les accueilleraient à bras ouverts… C’est même tout le contraire qui se produirait ! Les populations de rats étant stabilisées par les ressources alimentaires et de nidification, ils n’ont aucune raison de migrer tant que ces conditions sont bonnes, ni d’accueillir de nouveaux arrivants. Donc, ce concept de « migration verticale » paraît vraiment peu crédible, hors travaux d’excavation évidemment.

Ceci étant, quelle est la raison profonde qui a motivé cette étude ? Comme souvent avec les études américaines, elle se révèle dans le contenu « Il est de notoriété publique que les rats vus dans la journée indiquent qu’il y a une populations anormalement élevée dans l'environnement immédiat. Pourtant, la plupart des détections de rats sont basées sur un petit nombre d'individus de manière disproportionnée (…), ce qui conduit à des généralisations (infondées). (…) la plupart des observations conduisent à la désinformation qui se propage par des récits anecdotiques, par ouï-dire, et les médias. Les principaux moyens pour lutter contre ce problème croissant sont de surmonter les obstacles nécessaires à l' étude des rats urbains in situ, dans leur environnement normal, répliqués au niveau de chaque animal. »

Tiens donc, il semblerait bien que le service New-Yorkais du n° 312, le « Rat Portail », ait réalisé ce que je subodorais dans un précédent article : « Les signalements téléphoniques de rats sont davantage un outil statistique de l’humeur des citadins et de l’ambiance de leur quartier qu’une base de données fiables pour décompter des rats de NYC » (voir un précédent article de ce blog : http://hyform.blogspot.fr/2016/01/new-york-2-ou-8-millions-de-rats.html. Cette étude s’inscrit donc dans un vaste dispositif de manipulation des électeurs new-yorkais, à qui il faut démontrer que la mairie s’occupe activement du problème des rats, potentiellement vecteurs de maladies nouvelles. Et tant qu’à faire, on en cause au monde entier, sous couvert d’avancée scientifique…

 Pierre Falgayrac

Interview de Radio Canada du 16 juillet 2106

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