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dimanche 10 janvier 2016

L’effet de bulle dans le secteur des 3D





L’effet de bulle économique désigne le comportement irrationnel d’un marché, dont les prix augmentent excessivement par rapport à la valeur réelle des choses. L’issue inéluctable est l’effondrement brutal des cours : L’explosion est suivie d’une implosion.

Les exemples récents les plus connus sont la bulle Internet de la fin des 90’, et la crise des subprimes en 2007.

Parmi les multiples facteurs déclenchant un effet de bulle économique, il y a les « mimétismes euphoriques collectifs » : Tout le monde veut sa part du gâteau et se lance frénétiquement dans l’arène.

Pourquoi évoquer ce phénomène en rapport avec notre profession ? Parce qu’il s’agit d’une profession récente (la première organisation syndicale, la CS3D, a été fondée en 1946), à la structure atypique : 1% des entreprises comptant plus de trente salariés réalisent 50% du Chiffre d’Affaire, alors que 30% des entreprises en réalisent seulement 1%.

Il est évident que cela va évoluer, car cette structure ne respecte pas la loi de Pareto (20% des entreprises réalisent 80% du CA et 80% des entreprises réalisent 20% du CA). De plus, cette profession est une des rares (la seule ?) à n’avoir pas de formation initiale, donc pas de diplômes professionnels ; ce qui ne l’empêche pas d’avoir une certification agrico-urbaine…

Jetons un œil dans le rétroviseur

Le métier d’origine, au moyen âge, est celui d« écorcheur de vilaines bêtes ». Cela consistait à tuer et sortir de la ville les rats, chiens et chats errants, malades ou morts. Il se pratiquait avec divers outils tranchants ou contondants, un fouet et, si besoin, une charrette. Autant le traitement des chiens et chats était relativement simple, autant celui des rats nécessitait la connaissance de leurs mœurs et modes de déplacements, et une grande habileté pour les piéger ou les tuer d’un coup de fouet.

La découverte de la bactérie pesteuse par Alexandre Yersin, en 1894, et de son mode de transmission par les puces du rat noir, par Paul Louis Simond en 1898, déclenchèrent des études sur les rats et leurs puces dans le monde entier, et des campagnes de lutte dans toutes les grandes villes d’Europe, du Japon, et des USA.

Tout le monde ne pouvant pas devenir chasseur de rats du jour au lendemain, divers artisans et industriels développèrent des dispositifs de piégeage et des poisons raticides. Leur goût désagréable rendait difficile la fabrication d’appâts réellement attractifs.
Parallèlement, les progrès de l’industrie chimique permirent de développer des désinfectants et des insecticides (car pendant longtemps la communauté scientifique doutait que les petits arthropodes puissent être vecteurs de maladies…). Les produits, très toxiques, sentaient fort.

Du début du XXème jusqu’à la seconde guerre mondiale, la gestion des déchets est prioritaire, suivie des techniques de prévention que sont le « ratproofing » et le « noratland » ; Il s’agit d’aménager :
-          - Les locaux pour les rendre aussi étanches et inhospitaliers que possible aux rongeurs, et
-          - Leurs abords immédiats, en périphérie, qui sont dégagés et plats sur quelques mètres.

Les choses ont évolué après la seconde guerre mondiale. L’apparition des anticoagulants pour la dératisation, et des organochlorés pour la désinsectisation, changèrent considérablement les pratiques professionnelles : Il était plus facile de concevoir des appâts rodenticides vraiment attractifs (les anticoagulant n’ont quasiment pas de goût), et de faire des hécatombes de blattes, puces et punaises des lits. L’avènement des pyréthrinoïdes dans les 70’ accentuèrent la tendance, puisqu’ils sentaient peu et étaient moins toxiques pour l’homme que les organochlorés.

Le métier devenait plus facile et la profession des 3D connu un fort développement, essentiellement avec des TPE et une minorité de PME qui, pour l’essentiel, posaient des boites d’appâtage et pulvérisaient, point… En se souciant de moins en moins de ratproofing et de zones de noratland. C’est ainsi que peu à peu s’est perdue la culture du rat et de la souris chez les applicateurs (les énormités que l’ont peut lire sur bien des sites Web de professionnels en témoignent), et que sont apparues des souches de rongeurs et d’insectes résistant aux produits biocides…

Au milieu des années 90, le DAPA, prévu à l’origine pour préserver le pré carré des professionnels des 3D, a été obtenu par tous les chefs d’agences des grands groupes du nettoyage, qui se lancèrent sur un plan national, dans le métier. C’était en quelque sorte l’effet inverse de ce qui était implicitement recherché. Il faut dire que le DAPA ne comportait rien sur la connaissance des nuisibles et les techniques de lutte : Seulement de la réglementation… Dans la foulée, beaucoup de PME et TPE du nettoyage et des espaces verts ont suivi le mouvement et font aujourd’hui partie du paysage professionnel des 3D.
La tendance s’est accentuée au milieu des années 2000 avec l’arrivée d’une franchise nationale spécialisée à l’origine dans le nettoyage des VMC.

Et tout récemment, l’apparition de produits et dispositifs « grand public » sécurisés (règlementation biocides oblige), a vu une entreprise de services spécialisée dans la location de linge et la gestion des consommables sanitaires, se lancer dans les 3D sans certification ni numéro d’agrément, en toute légalité.

Une bulle serait-elle sur le point d’exploser, avec l’avènement officiel d’un métier de strict « poseur de boites et puis s’en va », à l’opposé total de ce qu’il était à l’origine ? Quel « poseur de boites et puis s’en va » serait capable de tuer une trentaine de rats par jour avec un fouet, comme le faisaient encore des dératiseurs de l’entre-deux guerres ?

La situation est limpide : Des clients qui n’ont pas de problèmes de nuisibles peuvent s’offrir un plan de lutte obligatoire « à pas cher », mais se trouveront fort démunis lorsqu’une infestation avérée surviendra ! Car il y a une différence entre poser des boites contre un mur et sous des meubles « pour respecter des normes », et traiter une infestation de souris. Seuls des applicateurs ayant la culture du nuisible, donc bien informés de sa biologie et des problèmes de concurrence alimentaire posés, peuvent réaliser un traitement efficace et sécurisé. Ce qui n’a rien à voir avec le remplacement des rouleaux de papier toilette et des bobines essuie-mains…

Enfin, il est temps d’arrêter de se voiler la face : Il est un fait que blattes, souris et rats prolifèrent chez bien des enseignes commerciales prestigieuses, malgré des contrats de sanitation passés avec de grands noms du secteur des 3D. Une politique de communication basée sur le sempiternel « nous faisons traiter par une des meilleures entreprises certifiées » ne pourra pas longtemps cacher la réalité à des clients de plus en plus sourcilleux sur les questions d’hygiène, surtout avec des Smartphones qui photographient et filment…

En résumé, les effets pervers de la facilité d’emploi des anticoagulants et des pyréthrinoïdes, et la vacuité d’une règlementation hors sujet, ont généré, au plan européen :
-          - Des applicateurs loin d’être aussi qualifiés qu’on aime à le penser ou le présenter ;
-          - Des pratiques professionnelles responsables de l’apparition de souches de nuisibles résistants aux biocides (conséquence de ce qui précède) ;
-          - Des plans de lutte irrationnels (beaucoup de dispositifs inutiles), dans l’agroalimentaire notamment ;
-          - Le désamour des instances européennes pour les biocides.

Le métier doit changer

L’évolution de la règlementation et la réduction des matières actives disponibles contraignent le métier à se recentrer sur les fondamentaux historiques : Prévention et dissuasion (ratproofing) d’abord, traitement raisonné en dernier lieu.

Proposer d’aménager les locaux des clients en ratproofing nécessite des compétences en petite maintenance (ou bricolage, pour parler « terrain ») : Pour colmater des accès possibles, vérifier/ réparer l’étanchéité des bâtiments, installer des moustiquaires, poser ou réparer des plaques et grilles d’acier, protéger/ équiper des locaux de containers à déchets, installer des générateurs d’ultrasons…

Connaître des techniques d’entretien d’espaces verts et de petite maçonnerie permet d’implanter des zones de noratland et de maintenir des extérieurs nets, qui dissuaderont les rats de s’y aventurer et encore moins de s’y installer.

Par ailleurs, maîtriser des techniques de nettoyage permet de proposer à certains clients négligents de procéder d’abord à un nettoyage des lieux, avant la mise en place d’un ratproofing et/ou d’un traitement par gel et pulvérisation (qui sont d’autant plus efficaces et rémanents qu’ils sont appliqués sur des surfaces propres).

Les prestataires 3D ont aujourd’hui un intérêt vital à « aller vers » le multiservices, sur le modèles des entreprises de nettoyage et multiservices qui sont « allés vers » les 3D dans les 80’ et 90’.

Enfin, le recours aux techniques d’application raisonnées des biocides permet de réaliser des économies substantielles (4 à 5 fois moins de produits consommés chez certains), et expose d’autant moins les applicateurs aux dangers et risques des substances toxiques.
Nous pensons que dans les années qui viennent, les plus importantes sociétés de 3D devraient perdre des parts de marchés au profit de PME et TPE plus réactives pour former leurs applicateurs aux techniques de ratproofing et d’application raisonnée de biocides. La profession se rapprocherait donc d’une structure Pareto (80/20).

A court terme, il conviendra d’expliquer aux clients les pourquoi et comment des stratégies de ratproofing et d’applications raisonnées de biocides ; il faudra leur désapprendre les alignements inutiles de boites d’appâtage le long des murs, leur démontrer que la pulvérisation raisonnée est une solution universelle et complémentaire de l’application de gels…

En l’espèce, les organisations syndicales auraient un important un rôle de communication à jouer auprès du public et des mondes de l’entreprise et de l’enseignement… C’est qu’il faudrait « contrer » les émissions polémiques des majors de la télé et rectifier les discours incohérents trouvés sur le Web (y compris sur des sites d’entreprises de 3D…), car une dynamique d’information sur les nuisibles urbains (et les pros qui s’en occupent mal…) s’installe progressivement qui, à terme, devrait contraindre de « gros » clients soucieux de leur image à se tourner vers des prestataires moins connus mais plus efficaces.

Ce que les grands argentiers d’entreprises ne doivent pas oublier, c’est que l’hygiène publique n’est pas une simple équation comptable. La surinformation/ désinformation de la télévision et du Web, en matière de rongeurs et arthropodes nuisibles, montre que les peurs de nos contemporains sont irrationnelles et dues à leur inculture du monde des petites bêtes. A terme il ne sera plus possible de prospérer économiquement sur ce malentendu, car il se résorbera bien un jour.

L’exemple de la « découverte des microbes » par Pasteur le montre bien : Dans les décennies qui ont suivi, l’hygiène des personnes et des locaux n’a cessé de progresser. Il en sera un jour de même avec les nuisibles urbains et les méthodes de lutte/ régulation. Surtout si les organisations syndicales prennent le problème de la communication à bras le corps.

Il y a urgence, car un effet de bulle est en cours !

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