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mardi 12 janvier 2016

La lutte contre les nuisibles en IAA



OU COMMENT LA DÉSINFORMATION INTOXIQUE L'IAA

(Article initialement publié en 2009 et révisé en 2016)

Il ne s'agit pas d'intoxication alimentaire, mais cela a un rapport.
La lutte contre les nuisibles (rongeurs, insectes, oiseaux) en Industrie Agroalimentaire (IAA) est une exigence des normes internationales régissant les échanges commerciaux, dont la finalité est ce qui retrouve dans nos assiettes. Les plus connues de ces normes sont l'AIB, l'IFS, le BRC, l'IOP et l’ISO 22000.

Des auditeurs vérifient régulièrement si les IAA satisfont toujours la norme adoptée. La majorité des IAA sous-traitent les prestations de lutte contre les nuisibles à des entreprises de dératisation, désinsectisation et désinfection (3D). Sur le terrain, ce sont les Responsables Qualité (RQ) qui supervisent/contrôlent la bonne conduite du contrat de lutte contre les rats, souris, blattes, mites, triboliums, demestres, oiseaux, etc.
Notre système économique faisant que les grands travaillent avec les gros, une poignée de ces entreprises de 3D se partage l'essentiel du juteux marché que représentent l'IAA et la grande distribution, sa principale partenaire.

Oui, mais voilà, très peu de RQ, et encore moins d'auditeurs, ne sont qualifiés ou suffisamment formés pour comprendre les tenants et aboutissants d'un contrat de 3D et ce qu'il se passe réellement quand les applicateurs 3D interviennent dans leur entreprise. La plupart ne comprennent même rien aux « rapports de sanitation » remis par leur sous-traitant...

Témoignages de RQ ayant récemment assisté à une de mes formations:
    • « Je ne comprends rien au fiches que l'on me demande de signer, mais du moment que je les ai, je suis tranquille en cas d'audit » (IAA « farinière »);
    • « J'ai la nette impression qu'on se moque de moi puisque je vois régulièrement des souris sur le site, alors que les fiches de passage indiquent qu'il n'y en a pas » (IAA fruits et légumes);
    • « L'auditeur était très content de voir la dizaine de postes d'appâtage le long de ce mur. Il a immédiatement coché « bon » pour le plan de lutte contre les nuisibles, sans rien vérifier d'autre, alors que nous avions pourtant des souris en zone de production » (IAA laitière);
    • « Ça fait douze ans que nous avons des mites, mais comme nous avons un contrat, des DEIV et des fiches de suivi corrects, les auditeurs nous notent bien » (IAA produits déshydratés).
C'est assez choquant, d'autant que les normes évoquées plus haut contiennent une vingtaine d'articles, dont quinze en commun, sur la lutte contre les nuisibles; articles qui, s'ils sont parfois imprécis, ou au contraire directifs, N'IMPOSENT RIEN en matière de techniques de lutte, sauf l’usage de DEIV (Destructeurs Electriques d’Insectes Volants) et une ceinture extérieure de boites d’appâtage (AIB).

L’analyse de la situation met en lumière que certaines pratiques ou usages dans le milieu sont aberrantes, incohérentes, voire peu honorables.
Je veux parler du discours tenu par de pourtant « honorables » fournisseurs et prestataires « 3D » dans leurs plaquettes, magazines professionnels ou réunions d'information, où l'on lit et entend que les « exigences de l'IAA et de ses normes internationale obligent à utiliser certains types de matériel et interdisent tout poison en zone de production ».
Ce discours bien rodé et relayé par la majorité du milieu professionnel est ainsi parfois adopté à l'excès par des IAA elles-mêmes. Je viens de lire un document interne de bonnes pratiques d'hygiène (BPH) d'un grand nom français de l'IAA laitière, qui impose le « zéro toxique » en zone de production et d'emballage à toutes ses usines, s'appuyant sur une collaboration avec le prestataire 3D.

Et pourtant, jamais au grand jamais les normes AIB, IFS, BRC-IOP ou ISO 22K n'exigent cela...
L'AIB dit: « Aucun appât toxique ou non-toxique n'est utilisé pour la surveillance à l'intérieur des bâtiments »;
et l'IFS: « La contamination du matériel de production et des produits par les appâts doit être évitée».
Le BRC/IOP et l’ISO 22K, quant à eux, ne précisent rien à ce sujet.

Quant à l'HACCP, il s’agit d’une méthode d’analyse intellectuelle des risques de contamination au cours d’un process de fabrication d’un produit alimentaire. Tous les manuels HACCP se ressemblent donc, mais ils sont forcément différents, comme les empreintes des doigts. Il ne s’agit aucunement d’une « norme », comme on le clame souvent à tort.

Revenons-en à la notion de « zéro contaminant en zone de production ». Le principal argument avancé est qu'il faut éliminer tout risque de contamination, et qu'un rat ou une souris pourrait peut-être disséminer de l'anticoagulant là où il ne le faudrait pas...
Je fais le pari qu'une analyse microbiologique démontrera que même sans disséminer du poison, le simple passage de rats ou souris (qui ne se lavent généralement pas les pattes) est vecteur de contamination.

J'irai même jusqu'à oser penser qu'une petite colonie de rongeurs, qui ne risque donc pas d'être empoisonnée, est bien plus dangereuse qu'un jeune papa rat qui fait les courses pour son épouse et les enfants restés au terrier. « Courses » empoisonnées qui tueront toute la famille d'un seul coup, soit dit en passant...

Car c'est surtout dans cette situation que le risque de dissémination de « miettes » d'appât existe. Le reste du temps, rats et souris ne recrachent pas ce qu'il ont consommé sur le chemin du retour vers leur terrier ou nid. Tout au plus peuvent-ils laisser un peu de miettes ou reliefs de repas, comme nous, aux abords immédiats de son lieu de restauration.
Je passe vite sur les « appâts placebo », c'est à dire de la nourriture saine non empoisonnée, prônée par l'AIB et certains qui pratiquent (mal) la technique dite de l'appâtage préalable. Il s'agit d'habituer les rats à manger à un endroit, pour un jour les empoisonner (C'est une excellente méthode, plutôt difficile à maîtriser).

De toute façon, que l'appât soit sain ou toxique, il s'agit toujours d'un « corps étranger » qui ne doit pas se mélanger à la production. La distinction toxique/non toxique est dés lors peu importante (Surtout que la dilution du poison dans l’appât est infime - de l’ordre de 0,005% - et quelques miettes ou poussières de sa substance disséminées dans les locaux de production ne représenteraient que « quelques traces » sans aucun danger dans le produit final…)

On voit donc fleurir chez les fournisseurs 3D des gammes de pièges mécaniques et nasses de piégeage, tous plus complexes et chers les uns que les autres. Les pauvres s'équipant avec des plaques de glu.

Évoquons rapidement les matériels et produits « certifiés HACCP », qui sont une escroquerie intellectuelle. Il s’agit d’auto déclarations qui n’ont aucune valeur juridique ou normative. N’importe quel dispositif sécurisé (c’est à dire solide, indéplaçable, non disséminable et pas facile à ouvrir) satisfait au exigences d’un manuel HACCP. Le déclarer alors « certifié HACCP » est un mensonge commercial. Quel commerçant oserait certifier « HACCP » un service de table complet (assiettes, verres, couverts) ? Pourtant il le pourrait, car il s’agit d’objets non relargants faciles à laver et rincer, donc non vecteurs de contamination. On mesure donc le ridicule d'un produit "certifié HACCP".

Revenons aux techniques de lutte. Le piégeage mécanique ou à la glu sont une aberration. Si une colonie de rongeurs est en train d'infester les lieux, seule une minorité d'individus se fera piégée (le plus souvent des jeunes). Et le reste de la colonie évitera désormais tout ce qui ressemble et porte l'odeur de ce qui a provoqué les cris de douleur, puis la mort de compagnons. C'est un comportement des rongeurs observé et connu depuis longtemps.

Le piégeage mécanique se justifie seulement dans le cas de rats dits « explorateurs », souvent solitaires le temps de trouver un nouveau territoire, ou de vieux rats proches de leur mort naturelle. Autrement dit, quand le risque est minime pour une IAA.
Dans le pur respect de l'esprit et la lettre des normes, j'affirme, preuves à l'appui, qu'il est possible de faire de la détection pertinente de présence de rongeurs, puis si besoin, des traitements courts avec appâts empoisonnés, avec un risque infime, voire nul, de contamination de la production.

Évidemment, cela ne se fait pas à coups de visites mensuelles... Tout en ne demandant pas plus de temps et d'argent qu'un contrat standard, où quantités de visites sont inutiles.
Passons aux insecticides. Quand « on » interdit d'appliquer des insecticides, même filmogènes (les « laques »), alors qu'on autorise de repeindre certaines surfaces, réalise-t-on qu'il y a incohérence ?

Quand on interdit de traiter des chemins de câbles en hauteur, alors que pour appliquer de l'insecticide filmogène il faudrait d'abord les dépoussiérer, réalise-t-on qu'on laisse perdurer une zone sale, où se reproduisent sans arrêt mites ou triboliums, bien plus vecteurs de disséminations de poussières et germes que si l’on faisait le nécessaire pour un traitement insecticide raisonné?

Que les grands responsables des IAA qui interdisent formellement tout toxique en zone de production m'expliquent comment on peut s'y prendre pour se débarrasser du tribolium, qui se reproduit sans cesse depuis cinq ans, sans utiliser un minimum d'insecticide ?
Bon, j'accorde des circonstance atténuantes à ces grands décisionnaires que je j'interpelle, car ils sont aussi victimes des « conseils » et « préconisations » de leurs sous-traitant. Les normes prévoient d'ailleurs ce rôle de conseil pour les entreprise extérieures. Or, je suis à jeun d'avoir constaté que les entreprises de 3D, ou leurs fournisseurs, aient fait une analyse critique et constructive des articles normatifs les concernant...

Je n'ai jamais lu, dans leurs plaquettes, publicités, communiqués et supports de conférence, de citations d'articles normatifs. Par contre, désinformations et approximations font flores.
J'ai aussi l'impression très nette d'une espèce de ronronnement et de routine prospère avec des pratiques « tape à l'oeil » (500 postes d'appâtage, dont 480 ne servent à rien et ne sont jamais vraiment contrôlés et maintenus, DEIV capturant une dizaine de moucherons ou moustiques/ jour et quasiment jamais de mites, qui sont la cible principale – et qui ne sont pas attirées par les UV...), des systèmes informatisés « qui font joli » (alors qu'il s'agit d'usines à gaz opaques pour les non initiés)...

Je pourrai encore citer bien des exemples démontrant que l'IAA et les entreprises de 3D n'ont pas noué un partenariat constructif (cinq ans avec toujours autant de tribolium, ce n'est pas normal!), mais mon propos est plutôt de dénoncer des rumeurs infondées persistantes et des campagnes de désinformation, qui intoxiquent littéralement l'IAA.
Pourquoi se montrer plus royaliste que le roi, quand on est IAA, en empêchant un service interne ou un sous-traitant d'utiliser de manière raisonnée et sûre, des appâts empoisonnés ou de l'insecticide?

J'affirme qu'il est possible de se débarrasser totalement du tribolium ou de la mite (je cite ces deux cas car il s'agit de missions récentes), en mettant en œuvre des mesures et techniques en tout point conformes aux normes, même la plus contraignante (l'AIB).
Or, il se trouve que ces mises en œuvre sont à l'heure actuelle impossibles, du fait d'une lecture incomplète et d'une très mauvaise interprétation des textes normatifs, par une autorité incompétente en matière de lutte contre les nuisibles.

La lecture du dernier n° spécial de NPI consacré à la lutte contre les nuisibles en IAA (décembre 2015) ne m’amène pas à modifier mon analyse : Aucun acteur de l’IAA n’ayant été invité à s’y exprimer, blablatages et enfoncement de portes ouvertes le disputent à des propos langues de bois et des « il faut ya qu’à t’a qu’a », qui n’éclairent en rien les professionnels 3D ou les RQ d’IAA sur les mesures à mettre en œuvre sur le terrain.

Si NPI m’avait contacté, je leur aurai proposé une analyse synthétique de la petite vingtaine d’articles que les normes ont en commun sur la lutte contre les nuisibles, et une check-list en 13 points de l’expertise préalable à l’établissement d’un plan de lutte, dont voici les grandes lignes :
      1/   Prise en compte de l’environnement
      2/   Etanchéité des bâtiments
      3/   Protection des passages et cheminements de fluides
      4/   Dispositifs de protection et de lutte extérieurs
      5/   Protocoles d’examen des matières premières arrivantes
      6/   Protection des denrées stockées
      7/   Dispositifs de surveillance à l’intérieur
      8/   Amélioration de l’appétence des appâts placébos
      9/   Protocoles de traitements ponctuels
      10/ Formalisation du plan de lutte
      11/ Documents de traçabilité
      12/ Outils de management du plan de lutte

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